St Jacques de Calahons

A l’époque préhistorique, déjà des hommes vivaient à Calahons. Trois petits dolmens, les Arcas, témoignent de cette présence. La découverte dans l’un d’eux, par J. Abelanet, de pointes de flèches en silex blond, de deux perles en schiste, d’une callaïs (pierre vert•bleu) ainsi que d’un petit vase en forme de louche avec manche court et large, percé de deux trous, permet de dater cette occupation du lieu entre 3500 et 2500 av. J.C.
En 968, un privilège du pape Jean XII en faveur du monastère Saint­Michel et Saint­Germain de Cuixa confirmant la possession de la villa de Catllà mentionne parmi les limites de son territoire : in ipsa archæ de Casalono. Il s’agit de la première mention de Calahons. Casalono vient de casa=hutte, maison. On trouve ensuite « Chasalons » au XIe siècle, « Calahons » au XIIIe, puis « Calaons ou Calahons » à partir du XVIIe siècle. Notons à ce sujet l’existence sur la rive droite escarpée du torrent de Saint­Jacques, face à la chapelle, d’un lieu­dit « els casals » où on distingue encore des restes de murailles.
Vers 1950, d’après S. Vernet, on voyait très bien la base de cabanes et d’enclos de pierres sèches. La découverte en ce lieu d’une pointe de flèche en fer et de tessons de poteries indique qu’il fut habité. A quelle époque ? Seule une fouille pourrait apporter une réponse, mais la forêt qui a envahi le site rend la tâche très difficile. Il pourrait s’agir du premier village de Calahons. Calahons fut longtemps village­frontière, aux limites de la Catalogne et de l’Occitanie puis de l’Espagne et de la France jusqu’en 1659.

La chapelle Saint¬Jacques

Il faut attendre 1225 pour apprendre l’existence d’une église Saint­Jacques dans ce hameau de Catllà. A cette date, Pierre, abbé de Cuixa fait donation au bienheureux Jacques de Calaons et aux frères et sœurs de ce lieu d’un sol inculte sis aux abords de l’église Saint-Jacques.
Au XIVe siècle, cette église est le siège d’un prieuré dépendant de Saint­Michel de Cuxa (1300, ecclesia sancti Jacobi de Casalonibus). En 1545 on trouve mention d’un cimetière.
En 1654 il y a encore un prieur de Calahons, Don François Calvo. Mais en 1688, l’église est citée en tant qu’ermitage du Conflent par J. Jocavell (ermita de Sant Jaume de Calahons).
Le 30 mai 1775, Joseph­Antoine­François­Jérôme de Réart, abbé de Cuixa, visite l’église et signale que le toit est en très mauvais état et qu’il doit être réparé sous peine d’interdiction de cette chapelle. Il ordonne de faire un plafond à la voûte à l’endroit du sanctuaire, de détruire la cave de l’ermite et de réparer sa maison . Quant à l’ermite, il ne devra pas… « découcher» !

L’interdiction du culte

Lors du retour de l’abbé en 1780, les réparations demandées n’ayant pas été effectuées, l’église est interdite. Le 30 mars 1787, Pierre Bach commet un vol avec effraction à la porte de « l’ermitage de Saint ­Jacques de Calahons ». Il échappe à la pendaison en place publique de Prades et est condamné aux galères à perpétuité.
A la Révolution, l’église et ses appartenances sont vendues aux enchères. Elles sont adjugées pour 500 livres à Bonaventure Pradel, curé de Quérignac (Dordogne). En janvier 1813, il en fait donation à Mme. Bonaventure Pradel, épouse Cambo de Catllà . En 1850, Bonaventure Pradel lègue la chapelle à sa fille Thérèse Cambo, épouse Raymond Vernet.
Deux ans plus tard, en 1852, elle la cède à son tour à sa fille mineure Thérèse à condition qu’elle conserve ce don et le transmette à ses héritiers comme cela s’est toujours fait dans la famille. (Arch. dép. Pyrénées­ Orientales, archives de Me. Sicart, notaire à Prades. Communiqué par Guy Barnades).
En 1860, Just, dans Ermitages du diocèse de Perpignan, écrit qu’en 1858 c’était une « chapelle privée jouissant de tous les privilèges attachés aux chapelles publiques du diocèse ». Just décrit ainsi l’église : « 13,60 m. de long sur 3,85 m. de large. Elle est surmontée d’un campanile où pendent deux petites et modestes cloches… Elle est peu connue et, par­là, peu fréquentée. La cause en est sans doute que par la suite des événements de ces derniers temps, elle est tombée dans un état de détérioration pour ainsi dire complète. Sa pauvreté est aujourd’hui extrême…
Au­devant de la chapelle, il y a une terrasse où l’on remarque une croix en fer portant l’inscription d’un nom presque effacé avec le chiffre de l’année 1757 ». Quelques années plus tard, Emile Pouvillon dans Jep confirmait cet état en parlant d’une « pauvre chapelle au fond d’une combe solitaire ». Est­ce cette chapelle que représente une gravure non datée, signée A. Vigo reproduite sur les plus anciens goigs ? L’église apparaît couverte d’un toit à deux pentes, tout comme le logement de l’ermite et la chapelle latérale qui ont les mêmes dimensions. Il semble cependant s’agir plutôt d’une interprétation de l’artiste car l’édifice paraît en bon état et par ailleurs très semblable à ce qu’il est aujourd’hui.
Devant l’impossibilité d’entretenir la chapelle qui menace ruine et pressée par le curé Marcerou, Thérèse Vernet finit par la vendre le 30 avril 1898 pour 500 f. à Gaudérique Vernis, représentant du Conseil de Fabrique «acheteur devant la loi ». En remerciement pour ce geste, la Fabrique accorde à perpétuité à la famille Vernet « la chapelle latérale où se conserve l’ancien retable du maître­autel ». Une plaque en marbre fixée sur le mur de droite de la chapelle rappelle cette donation.

La reconstruction de 1898

Le 21 juillet 1898, le curé Casimir Marcerou, lors d’une réunion du conseil de fabrique expose « qu’après l’achat de la chapelle Saint­Jacques une reconstruction complète de la chapelle s’impose. L’état de la vieille bâtisse est affreux, tout va s’effondrer si on n’y porte pas remède au plus tôt ». Le conseil décide la reconstruction : « la nouvelle église aura deux chapelles latérales et une sacristie. La cuisine sera agrandie par l’adjonction d’un nouvel appartement qui sera adossé contre le mur de l’église et sera contigu à la cuisine. De plus, en construisant des murs de soutènement, on fera une vaste place devant l’entrée de la chapelle, entrée qui ne sera plus au midi comme autrefois, mais au Nord­ouest. Toutes les bâtisses seront faites à la chaux de Teil. La toiture sera couverte avec du parrot de Narbonne ». Ce texte est une preuve que la toiture de la chapelle n’est pas inachevée, mais telle que l’ont voulue ses bâtisseurs.
Une note du curé Marcerou apprend que « la reconstruction de la chapelle a duré à peu près six mois. Les dépenses ont été considérables vu la difficulté des transports sur ces hauteurs abruptes. Par suite d’une forte inondation survenue avant les travaux, il a fallu aller chercher au loin sur la route de Sournia le sable nécessaire ». Le coût des travaux, ornementation intérieure comprise, a été estimé à 6000F. Le conseil de fabrique a décidé d’emprunter 2000 F à Mr.
Lafabregue, banquier à Prades, qui devaient être remboursés sur les revenus de Saint-Jacques, mais qui finalement l’ont été par le curé Marcerou. L’église actuelle a gardé approximativement la même longueur que l’ancienne, mais est plus étroite. On peut penser que le mur sud a été abattu et qu’on en aurait profité pour agrandir le logement de l’ermite. Cette église est l’œuvre de François Bourreil, entrepreneur de maçonnerie à Catllar, comme l’indique une inscription sur le mur nord portant ce nom et une date, 1899. Un article paru dans L’Indépendant du 13 novembre 1899, intitulé « Découverte macabre » révèle que des terrassiers ont trouvé deux squelettes bien conservés en fouillant le sol de l’ermitage de Saint­Jacques. L’auteur de l’entrefilet ne précise pas si c’est à l’intérieur ou à l’extérieur mais il ajoute : « on ne sait comment expliquer leur présence en cet endroit ». Pourtant dans les deux cas, cela n’a rien d’étonnant puisque c’est souvent qu’on enterrait des personnes dans le sol des églises et nous savons qu’il y avait un cimetière près de la chapelle.
Le 27 décembre 1926, l’abbé Raymond Vidal cède la chapelle et quelques terrains incultes à Mgr. Jules Carsalade du Pont, évêque du diocèse de Perpignan, agissant comme président de l’Association diocésaine.
En 1936, la chapelle subit une nouvelle restauration menée cette fois par Michel Bourreil, entrepreneur de maçonnerie à Catllar comme son père. Le toit est réparé, les murs crépis intérieurement et le sol cimenté. Des bancs confectionnés par le menuisier de Catllar Jean Marc remplacent les vieilles chaises.

Une association de sauvegarde

Le 24 septembre 1985, devant l’état de délabrement que connaît à nouveau l’édifice, l’Association des Amis de Saint­Jacques de Calahons, regroupant des personnes des communes de Catllar, Eus et Marquixanes est créée. Une souscription lancée dans les trois villages et des subventions accordées par les municipalités et le Conseil Général ont permis la remise en état de la chapelle et des logements de l’ermite ainsi que la mise en valeur de leurs abords immédiats. Le 29 avril 1986, la chapelle est cédée par l’Asssociation diocésaine à la commune de Catllar. « Moyennant le prix de 1 F. symbolique, la commune s’engage conjointement avec les responsables de l’Association dite les Amis de Saint­Jacques de Calahons d’assurer la restauration matérielle et à garantir l’affectation cultuelle et religieuse de l’édifice ».
De nombreux travaux sont entrepris à la chapelle sous l’impulsion de Roger Tubert puis de Guy Baillette, présidents de l’Association, avec l’aide des communes de Catllar, Eus et Marquixanes.
Le clocher­mur a retrouvé une deuxième cloche offerte par la famille Grau. Elle fut baptisée par Mgr Chabbert, évêque de Perpignan, le lundi de Pâques 1988. La façade ouest a été débarrassée de son crépi (2000). Des vitraux de Gérard Millon, maître verrier à Eus, ont été posés aux fenêtres (2001). L’intérieur a été repeint (2002). La toiture a été étanchéisée et refaite à l’identique (2003) … Parallèlement, la mise en valeur des environs de la chapelle s’est poursuivie.

L’ermite de Saint¬Jacques

Les anciens se rappellent encore de l’ermite Garrifa qui vécut ses vieux jours à Catllar mais qui devait avoir passé une partie de sa vie à la chapelle. C’était un miséreux. Comme tous les ermites à cette époque, il passait dans les maisons du village, sa capelleta en bandoulière et présentait à la dévotion des habitants la statuette de saint Jacques qu’elle renfermait. En échange, on lui donnait des provisions ou un peu d’argent. La capelleta est restée longtemps dans la chapelle, puis elle a disparu.

Les « aplecs », d’hier à aujourd’hui

Just, en 1860, note sur l’autel, la présence de « la statue de la Sainte Vierge ainsi que celle de saint Jacques, taillées avec peu d’art dans un bois grossier ». Cette statue de saint Jacques est aujourd’hui conservée dans l’église de Catllar (récemment restaurée par l’atelier du Conseil Général). C’est une statue reliquaire en bois peint, haute de 93 cm, datée du début du XIVe siècle. Le saint patron des pèlerins est pieds nus. Il est vêtu d’une tunique bleue et d’une toge marron à revers rouge. Tunique et toge ont été décorées de fleurs dans l’esprit des polychromies des sculptures baroques. Le socle est un réemploi. Les mains ont été refaites en utilisant celles d’une statue baroque. Tous les attributs du pèlerin : chapeau à bords relevés orné d’une coquille, bâton muni d’une calebasse ont été rajoutés à une époque indéterminée. Une petite croix reliquaire en ébène est incrustée sur la poitrine. Une écriture qui semble du XVIIIe siècle mentionne le nom de sainte Thècle. Sur le revers, une autre croix a dû être arrachée car l’emplacement est vide.
Cette statue se trouvait probablement dans la niche centrale de l’ancien retable (1629) du maître­autel, aujourd’hui placé dans la chapelle à droite du chœur, œuvre de Pere Guadanyor. Elle fut portée à la chapelle, les jours de pèlerinage, jusqu’en 1997. Son classement comme Monument Historique fait que le rétablissement de cet usage s’avère très difficile.
Jeanne Camps évoque les « aplecs », ces pèlerinages populaires et festifs dans les ermitages où l’on se rend les lundis de Pâques. Faisant suite aux interdictions des quarante jours de Carême ils étaient des occasions de se défouler. La joie de vivre des Catalans, dit-elle, explose en chansons, en grillades et bagarres comme celle qui eut lieu à ND de la Roca à Nyer en 1843, d’après ce qu’en a écrit l’abbé Malart : « on s’y réunit pour Pâques, c’est la mort aux chevreaux, on les mange par douzaines, et puis quand on a mangé, bu, la danse et beaucoup de coups de poings ».

• Le 30 mai 1775, l’abbé de Cuixa menace de supprimer les processions à Calahons la seconde fête de Pâques, le 1er mai et le jour de saint­Jacques le Majeur « si elles ne sont pas faites avec respect et décence ».

• Just évoque, en 1860, les pèlerinages des « lundis de Pâques, lundi de Pentecôte et le 25 juillet ». Quatre communes y participaient : Catllar, Eus, Marquixanes et Molitg.

• Le curé Marcerou raconte l’inauguration de la nouvelle chapelle, lors du pèlerinage du lundi de Pâques 1899 :
« Le lundi de Pâques 1899, le 3 avril vers 6 heures du matin, les cloches sonnant à toute volée, la religieuse population de Catllar accompagnait processionnellement l’antique statue de saint-Jacques à son nouveau sanctuaire. Les jeunes gens de l’endroit se sont fait un honneur de porter sur leurs épaules le brancard magnifiquement orné où était placée la statue. Beaucoup parmi la foule portaient en leur main des cierges allumés. C’est l’abbé Martre, archiprêtre de Prades qui a procédé à la bénédiction de la chapelle. Il a félicité M. le curé de Catllar et le conseil de fabrique d’avoir conduit à bonne fin une œuvre si nécessaire et si coûteuse. Cette inoubliable journée s’est terminée par le chant des vêpres, des goigs et du nouveau cantique à saint Jacques composé pour la circonstance »

• Le lundi de Pâques 1936, une grande fête est organisée par M. Carbonneil, alors maire de Catllar. Un groupe électrogène est monté sur une charrette et la messe est célébrée dans une chapelle illuminée par des guirlandes de lampes électriques. L’après­midi, on danse sur l’esplanade.

• On danse encore à Saint­Jacques après la fin de la deuxième guerre mondiale mais, au fil des ans, les catllanais montent de moins en moins nombreux à l’ermitage.

• En 1984, le Comité d’Animation renoue avec les fêtes d’antan. Grâce à la « Cobla Combo Gili », la sardane peut former sa ronde sous les chênes centenaires. C’est le début d’un nouvel essor des pèlerinages, chacun à tour de rôle : Catllar le lundi de Pâques, Eus le premier mai, Marquixanes le premier dimanche de mai.
Récemment, un sentier de randonnée, le « chemin des cabanes », a été créé par «els Amics de Catllà». Il relie des cabanes en pierres sèches restaurées, vestiges du passé viticole des environs de Saint­Jacques et passe par la chapelle. Ces dernières années, l’aplec de Catllà rassemble près d’un millier de personnes. Depuis des temps immémoriaux, chaque famille catllanaise possède son «coin» aménagé sous les arbres, avec des pierres qui servent de table et de sièges. Avant le pèlerinage, on va le marquer et le nettoyer. C’est l’occasion d’inviter parents et amis et il n’est pas rare de voir des groupes de plus de vingt personnes.
De plus en plus, l’aplec attire des gens qui viennent des villages des alentours. Les pèlerinages des autres villages attirent beaucoup moins de monde venu uniquement des Marquixanes ou Eus.

Yvan Marquié
Juillet 2003